Ouverture de Saison (2017)

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Ouverture de Saison (2017)

Le théâtre était un art de la précarité
une organisation extrêmement précise de l’accident
il s’agissait de retirer toute la matière sous le sol, délicatement, sans en trouer la croûte supérieure, ne changeant rien à l’aspect de l’espace, mais laissant tout prêt à céder, au point que les acteurs ne puissent s’y tenir qu’en touchant à peine par terre, marchant méticuleusement mais vite pour ne pas peser longtemps aux mêmes endroits, en étalant leurs pieds sur le plus de peau possible, toujours prêts à disparaître dans un brusque trou.

Le poids n’y était pas vertical, ne pesait pas de haut en bas. Les choses ne pèsent un même poids que quand elles ne bougent pas, nous nous pesons debout et immobile sinon la balance devient folle. Pour connaitre le poids que faisait le théâtre il aurait fallu peser ce qui dansait. Le théâtre était une chute permanente, aussi peut être qu’il ne pesait plus rien du tout.
il avait lieu dans les moments suspendus

il s’agissait de marcher sur le bord d’obstacles en train de tomber, de grimper à même l’effondrement, de vivre et de mourir sans cesse, simultanément. Se tenir debout en tremblant sur le sol tremblant.

le théâtre était un décrochement

Non seulement il altérait le poids, mais il massacrait le temps,
et l’espace,
et rendait inséparable les actes des sensations
rendant faux le vrai et vrai le faux ou vrai le vrai et vrai le faux, ou faux le faux et faux le vrai.

Le théâtre était devenu tout ce sur quoi on ne pouvait plus rien dire sans aussitôt s’apercevoir que l’on venait de mentir malgré nous. Car le théâtre changeait tout le temps et totalement. Depuis longtemps on ne savait plus du tout de quoi il s’agissait, et quand on allait le voir on le comprenait bien moins encore et le plus étrange c’est que cela nous mettait en joie;
nous avions changé avec lui, et de nouvelles pensées nous arrivaient, et de nouvelles envies de vivre.

Sa définition était devenue de n’en avoir pas, il dé-finissait, il dé-terminait,
il était à chaque fois son propre manifeste, son début, sa soudaine découverte, et tout de suite son propre oubli.
d’ailleurs depuis longtemps on ne l’appelait plus théâtre.

Il était toujours au bord de se dérober, de disparaitre sans avoir jamais eu lieu, le théâtre n’avait plus que la force de votre présence, il n’était plus qu’en vous et par vous, il ne pouvait avoir lieu sans vos corps vos regards vos bruits vos rires vos tensions, vos allées et venues pour le contenir.

C’est pour cela qu’il y avait peu de vrai théâtre, parce qu’il y n’avait souvent plus de place dans vos poitrines pressées.

Il est cette attention contagieuse qui rend nos oreilles si sensibles qu’un petit cliquetis nous assourdit, qui nous rend important des détails insignifiants, des finesses et des problèmes, des accidents et des rythmes que nous avons parfois du mal à percevoir à temps dans notre propre vie.

Le théâtre n’est pas mort, il n’est peut être même pas encore née
il n’est ni venu ni à venir il ne vient pas il a lieu
il survient, de l’intérieur du lieu, et du non lieu, apparaissant-disparaissant,
disant sans message et sans mot, se taisant avec des mots qui ne peuvent plus vouloir dire, mais qui disent directement, impossiblement, autrement,
autre chose, par disparition de toutes les autres choses, des choses qui se taisent quand enfin nous nous apprêtions à les comprendre,
qui vident les lieux, pour que le vide soit visible, soit entier présent en nous, à nous écarter, à nous ouvrir, à nous livrer à cette chute libre.

De et par Camille Boitel
Avec un coup de main spécial de Alain De Moyencourt

Production : l’immédiat et le théâtre de Brétigny-sur-Orge
Avec le soutien du Conseil Regional de l’Essone

L’immédiat est en convention avec le Ministère de la Culture – DRAC Île-de-France et reçoit le soutien de la Région Île-de-France au titre de l’aide à la permanence artistique.